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2023-2024 L'empreinte des mots : Critiques de livres pour un monde plus durable

L’empreinte des mots #4 : Financer la transition énergétique

      La transition énergétique est nécessaire pour lutter contre le changement climatique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Elle nécessite cependant des investissements très importants, à effectuer dès maintenant et sur le long terme. Voté en  2022, l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden aux Etats-Unis a justement pour but de favoriser l’investissement dans la production énergétique américaine propre. Cet apport de près de 400 milliards de dollars pour les dépenses énergétiques constitue le plus gros investissement public de l’histoire du pays dans la lutte contre le changement climatique. A défaut d’avoir implémenté le Fond de souveraineté européenne annoncé en 2022, l’Union Européenne y a répondu  par son «Règlement pour une industrie net zéro »1 Le règlement pour une industrie net zéro vise à accroître la production de technologies propres dans l’UE. Il s’agit donc d’attirer des investissements “verts” tout en stimulant la compétitivité industrielle européenne. découlant du plan industriel du Pacte Vert pour l’Europe2 Le Pacte Vert, ou Green Deal en anglais, constitue le plan de politique environnementale de l’Union Européenne. Parmi les mesures prises, on peut notamment citer la loi européenne sur le climat (2021) qui prévoit la réduction de moitié des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2050. Le Pacte Vert est financé par le budget habituel de l’Union et par le plan de relance européen post Covid-19 “NextGenerationEU”.

      Cet investissement, moins élevé que celui des Etats-Unis, témoigne-t-il d’une réelle réallocation des moyens financiers vers la transition énergétique ? Hormis ces investissements publics nécessaires, comment réorienter l’ensemble du monde de la finance vers la transition énergétique ?

      Dans Financer la transition énergétique, Alain Grandjean et Mireille Martini proposent des solutions pour mobiliser les ressources financières nécessaires à la transition énergétique dans le monde.

Des ressources financières abondantes

      La question du financement porte moins sur la disponibilité des fonds nécessaires, l’épargne étant surabondante, que sur sa réorientation et sur le manque d’opportunités d’investissements « verts». Les ressources financières sont abondantes et ce n’est donc pas cela qui freine l’investissement. L’épargne des ménages, gardée par des compagnies d’assurances et fonds de pension notamment, est en effet conséquente. En France, le taux d’épargne des ménages est en moyenne de 15% du revenu net disponible, dont 6% placés en épargne financière. C’est l’immobilier qui capte les deux tiers de l’épargne des ménages ; la politique accommodante des banques centrales visant à maintenir les taux à un niveau bas, a favorisé la croissance des rendements de l’investissement immobilier du fait de l’effet de levier (qui induit une répartition inégale du profit entre prêteur et investisseur, résultant de la faiblesse des taux d’intérêt) et d’incitations du système fiscal favorables à l’endettement.

Les blocages actuels au financement de la transition énergétique à l’échelle mondiale

      Malgré la disponibilité des fonds nécessaires à la transition, deux principaux facteurs bloquent son financement : le niveau des dettes et des déficits publics qui freine la relance par l’investissement public ; et l’ordre monétaire international, qui freine l’allocation de l’épargne du Nord vers les pays du Sud.

De plus, les investissements en faveur de la transition énergétique sont encore majoritairement moins rentables (à court terme) que les investissements traditionnels.

La nécessité d’un changement de structure des marchés

La finance et le marché ne répondent pas spontanément au besoin de financement de la transition énergétique. La théorie économique dominante a instauré une croyance dans l’efficience des marchés, tandis que les États dépendent de plus en plus des acteurs privés pour financer leur déficit. Les États sont pourtant indispensables pour réorienter les investissements nécessaires à la transition écologique, dans une situation où les capitaux ne sont pas alloués de manière optimale.

« Il est évident que les marchés financiers « n’allouent pas les capitaux » sur les opérations les plus utiles socialement et qu’ils ne sont pas capables de fournir un cadre stable permettant à l’économie de fonctionner correctement»

Financer la transition énergétique, Alain Grandjean et Mireille Martini

Cela est notamment révélé par les crises financières à répétition. Le crédit et la dette ont disparu des modèles d’économie générale néoclassique, car tout déséquilibre peut, selon cette théorie, être résolu par l’ajustement des prix. D’un point de vue comptable, les dettes des uns étant les créances des autres, dettes et créances s’annulent globalement dans le système. On voit donc bien que les crises financières qui ont traversé nos économies ces dernières décennies ne peuvent être expliquées par une telle théorie néoclassique qui occulte la possibilité de crises durables et globales.

Malgré ces freins, quel est l’intérêt pour le secteur financier de financer la transition énergétique ?

      Les acteurs financiers ont intérêt à participer à la transition. En effet, ils vont être amenés à faire face à un triple risque : un risque physique lié aux conséquences du dérèglement climatique, un risque de transition lié à la perte de valeur des titres d’entreprises dépendantes des énergies fossiles ; et un risque de responsabilité, les victimes futures exigeant des réparations de la part des acteurs qui «savaient ».

La place de l’État dans le financement de la transition énergétique

      Il est nécessaire que l’État mette en place une politique d’orientation de l’épargne vers les investissements de la transition énergétique et écologique. Elle comprendrait notamment des investissements publics et un encadrement de la création monétaire et du crédit pour créer les conditions de stabilité nécessaire à l’investissement de long terme.

      Les deux actions majeures à mener par l’État, selon Grandjean et Martini, sont donc un programme d’investissement d’une part, et la régulation du système bancaire et financier d’autre part. En effet, seul l’État peut créer un tel cadre de planification à long terme et mettre en place de nouveaux indicateurs de suivi et de risques. Cela permettrait de réorienter l’épargne et le crédit vers l’économie réelle.

Par ailleurs, il est indispensable de faire de la transition énergétique et écologique un projet de société, puisqu’il concerne toutes les parties prenantes.

Un outil : la taxe carbone

      La fiscalité est l’un des principaux piliers d’une politique de transition. L’instrument le plus direct et explicite pour rendre coûteuses les émissions de CO2 est la taxe carbone, notamment mise en place en Europe avec le marché européen appelé « European Union Emission Trading », qui couvre la moitié des émissions européennes de CO2 avec 12 000 sites industriels. Le but de la tarification carbone est d’inciter les activités génératrices de CO2 à réduire leurs émissions, mais cela peut aussi alourdir leurs coûts en situation de concurrence internationale. En cas de « dumping »3 Le dumping consiste notamment en la violation de contraintes légales en matière de protection de l’environnement par une entreprise. , non seulement les émissions de CO2 ne sont pas réduites, mais cela risque d’induire des pertes d’emplois  causées par l’importation de produits moins chers.

« Les normes et règlements visant à limiter les émissions de CO2 pour un produit ou un service donné sont un outil efficace dans deux situations. En cas de forte asymétrie entre le vendeur et l’acheteur du produit sur lequel s’applique la réglementation du carbone (le vendeur connaît les caractéristiques de ce qu’il vend, mais l’acheteur ne sait pas les mesurer) et/ou si le niveau que devrait atteindre un prix du carbone pour être incitatif est trop élevé. »

Financer la transition énergétique, Alain Grandjean et Mireille Martini

      Taxer les activités les plus polluantes permet de faire payer les externalités négatives liées à des activités économiques, ces externalités n’étant actuellement pas intégrées au marché. La charge fiscale ne doit cependant pas augmenter : la fiscalité verte se substituera à d’autres taxes afin d’obtenir un double dividende, à la fois social et écologique. Le financement de la transition écologique ne peut en effet pas s’effectuer au détriment de la justice sociale. Les deux auteurs prennent l’exemple d’un allègement de la fiscalité sur le travail obtenu grâce à la mise en place d’une plus grande fiscalité sur l’extraction et l’utilisation des ressources naturelles. Cette réorientation mènerait également les investisseurs à choisir différemment leurs portefeuilles.

Conclusion : Six mesures pour financer à bien la transition énergétique 

En conclusion, Financer la transition énergétique propose un panorama du système économique et financier actuel, et propose des solutions concrètes pour réorienter les investissements dans la transition énergétique. Les deux auteurs préconisent, en résumé de leur travail, six mesures pour financer à bien la transition énergétique :


1) « Encadrer la banque et la finance » pour limiter les gains des capitaux privés et réorienter les investissements de long terme vers la transition.


2) « Faire payer les atteintes à la nature » grâce à un signal-prix sur les émissions de CO2, de manière graduelle et différenciée selon les régions du monde.


3) « Augmenter le rendement relatif des projets de la transition » en avantageant les projets de transition au détriment des projets carbonés, notamment par des subventions et la réforme du système prudentiel bancaire. 

4) « Rendre le cadre général de la politique publique compatible avec le financement de la transition » par la mise en place d’indicateurs alternatifs de richesse prenant en compte les externalités du marché.


5) « Utiliser le financement monétaire et le flécher vers la transition » pour financer les banques publiques d’investissement et promouvoir le financement de la transition afin d’y associer des financements privés.


6) « Sur le plan international, les banques multilatérales de développement doivent augmenter la part de leurs activités de financement en faveur de la transition énergétique et écologique ».

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