Magazine du BDA Mars 2024 : La descente aux enfers
Vous connaissez sûrement le mythe d’Orphée et Eurydice. Orphée, musicien talentueux, tombe amoureux de la nymphe Eurydice. A la mort de cette dernière, il descend aux Enfers pour la sauver et obtient le droit de la ramener à la vie à une seule condition : ne pas se retourner pour la regarder tout au long du chemin du retour. Résumé de l’histoire : Don’t look down. Autrement dit, Look up ! Et c’est justement ce à quoi nous invite le film Don’t look up : Déni cosmique, paru en décembre 2021 sur Netflix.
Mauvais jeu de mots mis à part, ce film retrace bien une longue descente aux enfers qui évoque par beaucoup d’aspects la crise climatique actuelle. Outre le casting époustouflant (entre Léonardo di Caprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Timothée Chalamet ou encore Cate Blanchett, on ne sait plus où donner de la tête), l’histoire souligne l’absurdité du système socio-économique actuel. Tout le monde en prend pour son grade, des politiques de haut rang aux techno-optimistes en passant par les journalistes, la télé-réalité, les militaires et les grandes firmes capables de toutes sortes de manipulations pour accroître leur richesse.
Le pitch ?
Kate Dibiasky, étudiante en astronomie auprès du Dr Mindy, découvre qu’une comète de plusieurs kilomètres de diamètre se dirige tout droit sur Terre, avec un impact prévu très exactement dans 6 mois et 14 jours. Le risque : une extinction de masse. La fin de l’humanité. L’objectif paraît simple : utiliser tous les moyens technologiques existants pour tenter de dévier sa trajectoire et éviter l’impact fatal. Pourtant, les obstacles s’accumulent et l’inertie du système finit par gagner. La présidente des Etats-Unis refuse d’entreprendre quoi que ce soit avant les midterms, puis interrompt toute tentative de déviation de trajectoire sur conseil de son généreux donateur Peter, le créateur de l’entreprise technologique Bash. La comète, mine de métaux précieux, serait en effet une opportunité unique, la source de plusieurs milliers de dollars… et donc en façade la solution inespérée pour mettre définitivement fin à la pauvreté.
Le début du film laisse penser que nous sommes déjà en enfer. Pourtant, il s’agit bien d’une longue descente puisque les choses ne font qu’empirer face à l’ampleur du déni de toutes les parties prenantes de la société, autorités publiques comme acteurs privés. En effet, plutôt que de s’en remettre aux faits scientifiques et à l’évidence (la comète est un danger et « we are all going to die », comme le répète Kate), tout le monde semble préférer se voiler la face pour des raisons tant économiques qu’idéologiques. L’absence de réaction est bien résumée par la présidente des Etats-Unis : « Sit tight and assess ».
Une météorite … et alors ?
Dès lors, le parallèle avec l’inaction dans la gestion de la crise écologique actuelle est immédiat. Les politiques sont prêts à s’emparer de la question, mais seulement si cela représente un bénéfice électoral ; les journalistes acceptent de jouer leur rôle de lanceur d’alerte, mais seulement s’ils sont certains qu’il ne s’agit pas d’une énième théorie catastrophiste susceptible de les discréditer ; les firmes transnationales s’emparent de la question s’il est possible d’en tirer profit ; tandis que les scientifiques restent impuissants et inaudibles… Cupidité, désintérêt, lâcheté : toutes les raisons sont bonnes pour ne pas faire face à la situation et continuer de la nier jusqu’au dernier moment. Dans le film, les présentateurs télé et les politiques déplorent un manque d’humour et de légèreté dans la présentation de l’imminence de la collision ; de même lorsque certains écologistes préconisent un mode de vie plus sobre, on leur reproche parfois de ne pas savoir profiter de la vie et de vouloir imposer aux autres un choix strict, voire ascétique (pour une réponse à ce genre d’attaque, je vous conseille la lecture de Vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi). Mais comme le souligne Kate dans le film, la fin du monde n’est-elle pas censée être triste ? La situation laisse peu de place aux réjouissances et ce n’est donc que par des décisions que l’on peut l’améliorer et la transformer par notre pouvoir d’action.
On peut certes penser que le film présente une vision un peu trop simplifiée de la réalité, notamment par l’absence de représentation d’une quelconque vie démocratique ou d’une coordination internationale. Le changement climatique ne va pas s’accélérer de manière drastique au cours des six prochains mois, le problème est déjà là et la réponse à cet enjeu complexe ne sera pas unique.
On pourrait donc craindre une caricature manichéenne d’un monde tout de même moins désespérant que celui qui est décrit. Mais le coup de force du film est peut-être là : trouver le bon milieu entre dénonciation, cynisme et désespoir. Cette fiction a le mérite d’établir un parallèle avec la crise actuelle sur un ton décalé qui se veut provocateur et qui invite à la réflexion.
Aujourd’hui aussi dans le cas de crise climatique, les scientifiques peinent à faire entendre les faits et les vérités face au déni et à la désinformation. Les préconisations des rapports du GIEC ne sont pour l’instant pas respectées par les gouvernements, qui ne parviennent eux-mêmes pas à trouver de consensus pour une action commune lors des COP successives. Nous avons l’information, nous pouvons donc tout mettre en place pour limiter nos émissions et concevoir une société durable : la situation actuelle (et surement celle à venir !) est donc le fruit du dysfonctionnement de nos sociétés, plutôt que la conséquence d’un facteur externe comme une météorite dont on aurait pu dévider la trajectoire si on avait agi à temps.
Ce qui est dénoncé dans le film n’est pas tant le climatoscepticisme que l’inaction. Aujourd’hui, même d’un point de vue économique de comparaison entre gains et bénéfices, l’inaction paraît désavantageuse. C’est ce qu’a démontré Stern dans son rapport de 2006 : il préconise, sur la base d’une analyse coûts-bénéfices et avec l’hypothèse d’un coût d’actualisation de 1,4%, la mise en œuvre immédiate d’une politique de lutte contre le changement climatique, estimant que le coût de l’attente est nettement plus important que celui de l’action, à condition que celle-ci soit conçue de façon à en minimiser le coût économique. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de créer un cadre incitatif privilégiant le recours aux instruments économiques pour minimiser le coût global de l’effort de prévention du risque climatique. Mais là aussi, un débat peut avoir lieu : le taux d’actualisation final retenu par Stern (1,4%) est de loin inférieur aux standards conventionnels (un taux d’actualisation, qui reflète la préférence pure pour le présent, plus élevé mènerait à sous-estimer, selon lui, les pertes de bien-êtres subies par les générations futures). Ce calcul coûts-avantages repose sur la comparaison de coûts subis aujourd’hui (actions pour réduire l’émission de gaz à effets de serre) avec les avantages à envisager sur le long terme (l’utilité que les générations futures retireront d’un environnement plus sain). Nordhaus, dans son étude de 2007, y voit un artifice haussier dans l’évaluation des dommages. Il parvient à un résultat opposé avec un taux d’actualisation plus élevé (6% > 1,4%).
Et en attendant la fin de la discussion sur le pour et le contre de l’action immédiate, on voit bien qu’aucune action n’est initiée immédiatement !
Et maintenant, est-ce que tout le monde Look Up ?
Don’t look Up est l’un des films les plus vus sur Netflix. Vous êtes sûrement nombreux à l’avoir vu, et si ce n’est pas le cas je vous le conseille ! Le visionnage de ce film a-t-il donc contribué à une prise de conscience collective menant à des actions concrètes ? Peut-être que non, et Don’t Look Up serait alors la première victime de ce qu’il dénonce – l’inaction malgré l’accès aux informations…
Jeanne Rodriguez
2 réponses sur « L’empreinte des images #1 : Don’t look up »
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