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Les incidences environnementales de la blockchain X Kryptosphere ESSEC

Vous avez sûrement déjà entendu que Bitcoin consommerait autant que l’Irlande ou la Nouvelle-Zélande. Que c’était cher payé comparé aux maigres contributions que cette technologie apportait en retour. Évidemment, votre petit cousin n’était pas de cet avis lorsque le sujet a été évoqué à Noël, entre le foie gras et les huîtres. Sur ce sujet, il est rare d’entendre les opinions non partisanes, entre les passionnés des cryptos qui défendent corps et âme ces nouvelles technologies et le reste de la jeunesse sensibilisée à ces problématiques. 

A travers cette collaboration entre le NOISE et Kryptosphere ESSEC sur ce sujet, on espère que ces quelques lignes vous aideront à y voir plus clair sur les enjeux écologiques de la blockchain au XXIème siècle.

Enjeux et problèmes

Un impact écologique conséquent : pourquoi la blockchain est énergivore ? 

Afin de comprendre pourquoi la blockchain est au centre de ce débat écologique, il est nécessaire de comprendre sa création et son utilité. Un peu d’histoire..

Dès la création d’Internet, certaines personnes ont eu des doutes quant au respect de leur confidentialité en ligne. En 1993, un groupe se forme autour de ces idées et est baptisé le mouvement des ‘Cypherpunks’. Leur motivation première était de pouvoir créer une monnaie virtuelle qui permettrait de conserver un anonymat total en ligne tout en réduisant l’importance des banques centrales dans le système financier. 

Avant les années 2000, les Cypherpunks avaient déjà conçu plusieurs monnaies digitales se basant notamment sur les recherches en cryptographie de David Chaum (donnant lieu aux cryptomonnaies tel que DigiCash ou CyberCash). Cependant, toutes ces monnaies ne parvenaient pas à permettre la création de ce système monétaire idéalisé, car elles avaient toutes encore besoin d’un intermédiaire pour valider les transactions, un rôle équivalent à celui d’une banque centrale et sa monnaie fiduciaire. La clé du problème fut finalement trouvée en Juin 2009 lorsqu’un développeur sous le pseudonyme de ‘Satoshi’ publia en ligne le livre blanc du Bitcoin. Sa technologie innovante qui lui permit de se différencier des précédentes s’appelait la ‘Blockchain’. 

C’est un mot qui fait presque partie du langage courant en 2022, pourtant bien peu de personnes connaissent ses origines et son fonctionnement. Sans rentrer dans des détails trop techniques, la blockchain est une base de données décentralisée (c’est-à-dire que ses activités ne reposent pas sur un point central mais sur une multitude d’acteurs), permettant de stocker des informations mais aussi de pouvoir vérifier leur authenticité. La Blockchain du Bitcoin contient donc toutes les informations des transactions de cette monnaie, la première ayant été réalisée en 2010 par un Américain qui a acheté deux pizzas en Floride pour seulement… 10, 000 BTC (soit $600 000 million en avril dernier)

Chacune de ces transactions est conservée dans un ‘bloc’ de données, la blockchain formant ainsi un registre de blocs comme autant de transactions marquées dans un carnet à l’encre indélébile. Mais afin de créer un de ces blocs, des ordinateurs entrent en compétition pour résoudre une équation cryptographique complexe (c’est ce qu’on appelle le ‘proof of work’). L’ordinateur, aussi appelé un ‘mineur’, qui arrive en premier à trouver une solution peut ainsi ajouter ce nouveau bloc à la chaîne et reçoit une récompense en Bitcoin. La Blockchain est donc intrinsèque au Bitcoin (et à la grande majorité des autres crypto-monnaies créées par la suite) et présente de nombreux avantages, car elle rend par exemple le piratage de cette base de données quasi impossible. 

Cependant, la difficulté du minage d’un bloc est réajustée tout les 2016 blocs minés, réclamant une puissance de calcul et ainsi d’énergie de plus en plus grande, les ordinateurs devant ‘tourner’ plus longtemps. Si vous aviez facilement pu miner le premier Bitcoin avec votre portable, il existe maintenant des fermes de minages contenant plusieurs centaines de machines avec des puces dédiées à la résolution de problèmes cryptographiques (les puces Asics). L’augmentation du nombre de mineurs dans le monde a aussi participé à la transformation du proof-of-work vers un système toujours plus énergivore. 

Il est ainsi estimé que le Bitcoin dans son ensemble (minage, mais aussi les coûts énergétiques des transactions par exemple) a produit 57 millions de tonnes de C02 en 2021 (ce qui est supérieure à la consommation de la Pologne ou du Portugal cette année). C’est bien plus qu’en 2019, année pendant laquelle le Bitcoin a pollué autant que les Pays-Bas d’après l’Université de Cambridge. En plus du minage qui est devenu de plus en plus énergivore à cause de sa structure et du nombre croissants de mineurs, ce chiffre s’explique aussi par le fait que la majorité (65%) des Bitcoins sont actuellement minés en Chine, pays où le coût de l’énergie issue du charbon est faible. Pour donner un ordre de comparaison, la crypto-monnaie brule 707 kwH d’électricité par transaction, une valeur 11 fois plus élevée qu’une transaction Ethereum et 12 fois plus élevée que 100 000 transactions VISA. L’empreinte carbonique du Bitcoin, aussi bien à cause de son minage que ses transactions, est donc un vrai enjeu pour l’avenir et qui pourrait potentiellement mettre le Bitcoin en difficulté.

Mais bien souvent surévalué

Le 12 janvier 2022, un site d’information spécialisé dans les cryptomonnaies [Cryptoast] publiait un article montrant que le minage du bitcoin avait sauvé une centrale hydroélectrique au Costa Rica. Le lendemain, le compte « pour un réveil écologique » dénonçait dans un post sur LinkedIn la consommation énergétique du bitcoin, proposant le débat sur l’interdiction de la cryptomonnaie.

On le voit donc, l’impact écologique des blockchains et tout particulièrement l’impact de la blockchain Bitcoin est sujet à de nombreux débats. L’une des principales critiques des défenseurs de la technologie n’est qu’aucune réelle étude chiffrée n’a été menée pour prouver un tel impact de la blockchain sur l’environnement, ce qui est vrai, et que les chiffres sont surévalués. On reproche souvent au bitcoin d’être principalement miné dans des pays qui dépendent en grande partie d’une production électrique très carbonée et donc de polluer en utilisant de l’électricité carbonée, mais il s’agit là d’un écueil : Il ne faut pas confondre consommation énergétique et empreinte écologique.

Blockchain Partner (KPMG) a compilé des données recueillies auprès d’institutions publiques (Deutsche Bank Research, Chinese National Energy Agency) et affirme par exemple que le Sichuan représentait 48% de la part de minage global[avec l’interdiction du Bitcoin par la Chine, de nombreux mineurs ont migrés], avec une pénétration des renouvelables de 90,1% dans un long article sur l’impact écologique du Bitcoin. Cela s’explique facilement étant donné la multiplication des centrales hydroélectriques dans la région. Les mineurs privilégient l’électricité provenant des centrales hydroélectriques tout simplement car c’est la moins chère pour eux.

Bitcoin consomme de l’électricité, beaucoup d’électricité, mais ce n’est assurément pas de l’électricité entièrement issue d’énergies non renouvelables. Et puis Bitcoin n’est pas la seule blockchain, il y a de nombreuses autres blockchains beaucoup moins énergivores (on cite souvent Tezos, blockchain co-fondée par le français Arthur Breitman). La consommation énergétique de Bitcoin vient de la nécessité de sécuriser le réseau. Ce coût énergétique a donc des bienfaits pour la blockchain. A titre de comparaison, Pierre Noizat, un spécialiste du secteur, rappelle que rien qu’en France, 400 000 emplois constituent la barrière de sécurité du système bancaire traditionnel, un système loin d’être avare en électricité.

Enfin la technologie Blockchain ne se limite pas aux Blockchains publiques (qui fonctionnent avec des crypto-monnaies comme Ethereum ou Bitcoin), il y a aussi des Blockchains dites privés/internes, bien plus économes, construites au sein des entreprises, dans le secteur de la financeToujours d’après Blockchain Partner, ces blockchains pourraient permettre notamment l’amélioration de la traçabilité dans le secteur agroalimentaire. Dès lors un constat émerge : Bitcoin consomme de l’électricité et pollue, assurément, mais pas dans les proportions souvent évoquées.

 

Des solutions technologiques qui offrent de plus belles perspectives d’avenir, une réconciliation entre blockchain et environnement?

Revoir le mix énergétique alimentant les blockchains

Le système de production de blockchain est très vorace en électricité, mais rien n’oblige cette électricité à être produite grâce aux énergies fossiles lourdement carbonées. Au contraire, le mix énergétique sur lequel s’appuie cette production électrique gagnerait à délaisser le gaz et le charbon. Seulement, les producteurs de ces blockchains résident pour leur immense majorité dans des pays asiatiques émergents qui comptent encore presque exclusivement sur le charbon pour produire leur électricité. Pourtant cette localisation ne doit pas être un frein, et il y a même des avantages à en tirer.

En effet, l’utilisation d’énergies renouvelables bon marché est une nécessité pour gagner dans une industrie ultra-compétitive. Selon un rapport de l’université de Cambridge publié en septembre 2020, 76 % des mineurs d’une blockchain fonctionnant sur des preuves de travail (PoW, modèle le plus énergivore) utiliseraient dans leur mix énergétique des énergies renouvelables. La part totale des énergies renouvelables dans leur consommation, selon l’étude, serait de 39%. Dans cette quête d’énergie renouvelable peu chère, « Le minage de cryptos achète les surplus des barrages hydrauliques, apportant aux producteurs verts des moyens financiers nouveaux. En retour, cela fait baisser le coût de production et rend l’énergie verte plus compétitive que l’énergie carbonée », confirme Sébastien Gouspillou, président de Bigblock Datacenter.

Dès lors, dans ce secteur ultra-compétitif, les mineurs choisiront toujours l’électricité la moins chère. Bien que dans la majorité des cas, les surplus d’électricité des sources d’énergies renouvelables soient les solutions les plus attractives, il arrive que le prix de l’électricité provenant de sources plus carbonées soit moins cher. Les mineurs choisiront évidemment celle-ci, car l’ultra-compétitivité du secteur l’exige. Mais cette électricité n’est moins chère que parce que les gouvernements subventionnent fortement les industries en question (notamment le charbon, le rendant ultra-compétitif).  Dès lors, il devient difficile de déterminer s’il s’agit là exclusivement d’un phénomène résultant du manque d’engagement des mineurs ou bien d’une politique gouvernementale encore insuffisante

Il est également possible de délocaliser les datacenters dans des pays produisant de l’électricité moins carbonée. Ainsi, avec un mix énergétique français qui émet très peu de CO2, EDF et sa filiale Exaion peuvent proposer à leurs clients des solutions d’hébergement de data tout en maîtrisant l’énergie et en optimisant leur empreinte carbone.

Cependant, même les énergies renouvelables sont loin d’être sans impact sur l’environnement. Certains experts ont fait valoir que le fait de s’appuyer sur les énergies renouvelables et propres n’est peut-être pas une solution parfaite. Si l’extraction de jetons continue d’être gourmande en énergie, la pression sur les réseaux électriques se poursuivra. En outre, l’énergie renouvelable pourrait sans doute être mieux utilisée pour l’éclairage et le chauffage des habitations.

Il est nécessaire malgré tout de se diriger vers un processus de réalisation des blockchains moins énergivore

Ainsi, peu importe la qualité de l’énergie utilisée, c’est sur l’aspect de la quantité utilisée que le bât blesse. Une autre solution consiste à remplacer dans l’algorithme de la blockchain une preuve de travail (PoW) par une preuve d’enjeu (PoS). En effet, le système de PoW est grandement problématique : lors de chaque transaction en bitcoin, sa blockchain met au défi l’ensemble des ordinateurs du réseau en leur demandant de crypter chaque bloc de ladite transaction le plus rapidement possible. Et seul le plus rapide remporte le prix, une infime quantité de bitcoins étant créés pour l’occasion. Quant aux autres challengers, ils ont gaspillé leur énergie. Et le gaspillage, on n’aime pas ça !

L’approche PoS, elle, ne consomme presque pas d’énergie car la blockchain est sécurisée par les utilisateurs eux-mêmes, qui mettent en jeu leurs propres crypto-monnaies pour montrer leur engagement. Ils n’utilisent donc qu’un seul ordinateur chacun – pas bête ! Tezos, par exemple, est une blockchain PoS qui donne la priorité à l’environnement. Tezos consomme plus de deux millions de fois moins d’énergie que les réseaux PoW comme Bitcoin ou Ethereum. Et ces derniers ne se voilent pas la face quant à la non-durabilité de leur modèle, et envisagent d’en changer. Ainsi, en passant à la méthode PoS, la fondation Ethereum pense pouvoir réduire le coût énergétique de chaque transaction de 99,95 %, bien que ce changement ne soit pas encore entré en vigueur.

Les bonnes pratiques – à la manière du coronavirus – se diffusent, et en avril 2021, trois organisations importantes ont même formé le Crypto Climate Accord pour décarboniser l’industrie de la cryptomonnaie et atteindre 100 % d’émissions sans carbone d’ici 2030. Cela paraît un peu utopique, mais il est bon de rêver. Plus prosaïquement, nous pouvons aussi observer et questionner le fait que les cryptos sont peut-être finalement moins énergivores que ne l’est le système monétaire actuel (nécessitant l’émission des pièces et billets de banque, leur transport, la sécurité qui les entoure, et impliquant enfin les nombreux acteurs financiers, institutions et banques comprises). Surtout, la blockchain fournit des possibilités que le système actuel ne saurait envisager.

La technologie des blockchains peut même servir des projets écologiques

La blockchain est avant tout une technique garantissant la sécurité des transactions et des échanges, et elle peut être appliquée à une plus grande échelle, notamment en tant que catalyseur d’une économie numérique et décentralisée. Le réseau Ethereum 2 peut ainsi enregistrer d’autres actifs tels que des prêts ou des contrats, et il y a des choses très intéressantes à en tirer !

La technologie blockchain peut par exemple jouer un rôle important dans l’adoption de sources d’énergie renouvelables telles que l’énergie éolienne et solaire, en fournissant un outil pour créer des marchés d’énergie propre. Comme ces sources sont intermittentes et décentralisées, de nouvelles formes de marchés énergétiques sont nécessaires, et la technologie blockchain les sert sur un plateau.

En négociant l’électricité comme une marchandise, plutôt qu’en fixant son prix via des réseaux centralisés, les prix de l’énergie peuvent mieux réagir à l’offre et à la demande. Les particuliers et les organisations pourraient ainsi devenir à la fois consommateurs et producteurs d’électricité, ce qui permettrait de réduire le gaspillage d’énergie et de diminuer les coûts.  En offrant aux consommateurs une information transparente sur l’origine de l’énergie des fournisseurs potentiels, on leur offre par la même occasion le pouvoir de choisir l’énergie qu’ils souhaitent consommer et on ose croire qu’ils choisiront l’énergie la moins carbonée – vous le feriez, n’est-ce pas ?

Plus encore, à l’échelle mondiale, la blockchain pourrait régir le marché de quotas d’émissions en toute transparence : l’ONU a indiqué que les données non fiables sur les émissions de gaz à effet de serre peuvent être traquées car la blockchain pourrait fournir des enregistrements immuables des données sur le carbone, offrant ainsi aux nations un moyen de réduire de manière proactive leur impact sur l’environnement.

En dernier lieu, il ne faut pas oublier que les blockchains sont surtout utilisées pour émettre des cryptomonnaies, et avec elles des potentiels moyens de rémunération. Et si l’on s’en servait pour l’écologie ? Dans son dernier roman, paru en 2020, The Ministry for the Future, l’auteur multi-primé Kim Stanley Robinson imagine une cryptomonnaie baptisée Carbon coin. C’est une devise virtuelle qui permet de rétribuer toutes les initiatives de réduction des gaz à effet de serre, aussi bien la reforestation, l’éco-construction que l’agriculture urbaine. Les dubitatifs, on vous voit !

Mais l’idée de l’écrivain n’est pas totalement déconnectée de la réalité, et on trouve des cas similaires dès aujourd’hui. Le projet ouvert et communautaire SolarCoin a été créé en 2014 et s’appuie sur sa cryptomonnaie du même nom. Le principe est simple, chaque producteur d’énergie photovoltaïque peut recevoir un SolarCoin par MWh solaire produit. A terme, une installation produisant entre 6 à 8 MWh par an devrait être en mesure de gagner l’équivalent de 150 à 200 euros par an. Cette fois, nous sommes certains que vous participerez ! Ce principe soulève toutefois une question d’ordre éthique quant à la valorisation des actifs naturels, mais marchander la nature, n’est-ce pas ce que l’on fait déjà à outrance aujourd’hui ?

Alexandre Germann, Sigrid Romier et Theo Crouzet

 

Sources

Bitcoin vs écologie : et si un Carbon coin sauvait le climat ? – WE DEMAIN

Blockchain et environnement (broker-forex.fr)

[Tribune] Blockchain et transition énergétique : une cohabitation impossible ? – Environnement Magazine (environnement-magazine.fr)

Usbek & Rica – Quel est l’impact écologique réel de Bitcoin ? (usbeketrica.com)

Impact écologique de Bitcoin, quel est le problème ? – WE DEMAIN

Blockchain et énergie : quelles perspectives pour demain ? (futura-sciences.com)

Ecologie et Crypto-monnaies sont-elles compatibles ? (lemondedelenergie.com)

https://medium.com/coinshares/re-cost-of-mining-misconceptions-e3fcff1ce726

https://e-ducat.fr/2018-08-22-france-strategie/

:https://www.journaldunet.com/economie/finance/1506105-les-cryptomonnaies-sont-elles-ecologiques-ou-non/

 https://bitcoin.fr/quelle-est-la-consommation-electrique-du-reseau-bitcoin/

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