Les enjeux énergétiques et écologiques du nucléaire en France
Rappel : qu’est-ce que le nucléaire ?
Pour comprendre ce qu’est l’énergie nucléaire, il faut revenir à la définition du nucléaire comme adjectif : « relatif au noyau de l’atome et à l’énergie qui en est issue ainsi qu’aux techniques qui utilisent cette énergie ». Ainsi, l’électricité produite dans une centrale provient de la chaleur dégagée lors de la fission des atomes d’uranium. Cette chaleur chauffe de l’eau d’un circuit dit primaire qui, lui-même, chauffe de l’eau d’un circuit secondaire. La vapeur d’eau du circuit secondaire entraîne une turbine qui produit de l’électricité. C’est le même principe que pour les centrales au fioul ou au charbon sauf qu’il n’y a pas de combustion au début du processus. A titre de comparaison, une pastille d’uranium de 7 grammes génère autant d’énergie qu’une tonne de charbon. La taille d’une centrale est donc extrêmement réduite par rapport à sa production d’électricité.

Le nucléaire, une passion française : retour sur l’histoire du nucléaire dans l’Hexagone
L’histoire du nucléaire est déjà intimement liée à la France, la radioactivité ayant été découverte par Henri Becquerel, physicien et Prix Nobel français, en 1896. Cette découverte attire vite l’attention mondiale, grâce aux travaux de Pierre et Marie Curie notamment, et son potentiel pour la production d’énergie est vite mis à jour. Des dizaines d’années de recherche et développement plus tard, la 1ère centrale nucléaire française est construite en 1962.
Néanmoins, le réel tournant est entamé un an après la crise pétrolière de 1974, qui montre les risques de l’hyper-dépendance aux pays exportateurs de pétrole. Le Président de l’époque, Valérie Giscard d’Estaing, lance alors le plan Messmer, afin de rendre la France indépendante en termes de production énergétique grâce au nucléaire. Ce dernier devient alors l’énergie de l’avenir, et dès la fin du XXe siècle, 75% de la production française est d’origine nucléaire. Même la catastrophe de Tchernobyl en 1986 n’aura pas refroidi l’ambition nucléaire de la France.
Aujourd’hui, la France peut se targuer d’avoir une production plus décarbonée que ses voisins grâce au nucléaire. Cette énergie, produite par et pour la France, représente 71% de sa production électrique en 2019, contre 10% à l’échelle mondiale. La France compte 56 réacteurs, dont la puissance va de 900MW à 1 450 MW. Un réacteur de 900MW peut subvenir aux besoins de 400 000 foyers, et la production d’énergie nucléaire a l’avantage de pouvoir être adaptée à la demande – contrairement aux énergies renouvelables qui dépendent des conditions climatiques ou naturelles à un instant T. L’avantage de l’énergie nucléaire est qu’une centrale ne rejette pas ou peu de CO2. A titre de comparaison la seule énergie renouvelable qui en rejette moins est l’hydroélectricité. D’où l’importance capitale du nucléaire dans la bataille contre les émissions de gaz carbonique. C’est pourquoi l’arrêt de la centrale de Flamanville représente un véritable drame écologique étant donné que la France doit acheter de l’électricité aux Allemands qui, eux, la fabriquent avec des centrales à charbon.
Sécurité, incidences écologiques, déchets… Les défis auxquels le nucléaire doit répondre
Les déchets nucléaires
Aujourd’hui les déchets nucléaires sont au cœur des débats sur le nucléaire. La première chose à savoir sur ces déchets est que la majeure partie (99,8%) représentent un niveau de radioactivité inférieur à 5% du total (source : « les essentiels 2018 de l’Andra »). Ce qui signifie que ces déchets ne sont pas voués à être stockés indéfiniment dans des centres spécialisés qui sont, à date, au nombre de trois en France. Néanmoins il est clair que se pose alors la question de la valorisation et des surcoûts. Effectivement il semble qu’il faille créer de nouveaux centres ou agrandir les précédents ce qui présente un surcoût évident. Ne serait-ce que pour le projet qui consiste à enterrer les déchets à vie longue profondément. En effet, les déchets les plus dangereux sont stockés sous haute surveillance pour le moment mais pas en profondeur. Le but est de garantir un impact minime sur l’environnement quel que soient les évènements à la surface. Aujourd’hui, la France privilégie la surveillance en surface. Ce qui est moins connu c’est que les crayons d’uranium sont retraités, en France, quand ils arrivent en fin de vie. Le centre de la Hague est le plus grand du monde avec une capacité de 1600 tonnes par an. L’idée est de récupérer l’uranium et le plutonium qui n’ont pas été utilisés pour en faire un nouveau combustible dit « MOX ». Ainsi un crayon peut être utilisé 8 ans au lieu de 4. Ainsi, le « problème » des déchets est beaucoup moins important que ce qu’il semble être d’autant que la recherche concernant leur valorisation continue.
La question de la sûreté
En France l’organisme chargé de la sûreté en matière de nucléaire est l’ASN : Autorité de Sûreté Nucléaire. C’est un organisme indépendant et transparent qui a vocation à visiter les sites nucléaires et à être le référent de tous les incidents qui ont lieu dans ces mêmes sites. L’une de ses principales missions est d’informer le public en transmettant le maximum d’informations. Elle est aussi chargée de conseiller le gouvernement ainsi que de prendre des décisions qui permettent la mise en œuvre des décrets. Enfin elle participe à la gestion des situations d’urgence. En matière de transparence, les centrales sont aussi tenues de tenir informées les organisations locales de leurs décisions et agissements pour permettre une cohabitation saine et une compréhension de ce que cela veut dire : avoir une centrale nucléaire près de chez soi.
L’EPR : du rêve au fiasco ?
La première centrale EPR (réacteur pressurisé européen) de France devrait être celle de Flamanville mais elle n’a eu de cesse de prendre du retard. A date, l’ASN devrait permettre à la centrale de commencer son activité dès fin 2022 et de ne pas prendre plus de retard. Sans compter que les surcoûts s’élèvent déjà à 12 milliards d’euros pour un projet lancé en 2004. Néanmoins si la construction continue c’est que ces réacteurs de nouvelle génération peuvent produire 22% d’électricité de plus que les autres réacteurs en fonction aujourd’hui (source : EDF, « l’EPR »). On se rapproche donc rapidement de ce qui constitue une avancée non négligeable pour la production d’énergie du futur. De fait l’EPR est plus sûr, rejette moins de déchets en proportion, et est compatible avec le combustible MOX. Finalement, certes on peut critiquer les surcoûts liés à un tel projet mais l’enjeu est tel ( retour des expertises de construction de centrale, baisse de la quantité de déchets, meilleur rendement…) que le jeu semble toujours largement en valoir la chandelle. Il reste néanmoins à savoir si cela suffira à apaiser les peurs de l’opinion public, toujours traumatisée par les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima.
Les ressources
Une autre source d’inquiétude est la perspective d’un épuisement des ressources en uranium. Ce dernier reste une ressource fossile, mais les calculs réalisés donnent des résultats bien plus optimistes que pour le charbon, le pétrole ou le gaz. En 2006, Thierry Dujardin, alors directeur adjoint de l’Agence de l’énergie nucléaire, indiquait que les réserves en uranium et en plutonium pouvaient nous approvisionner pendant encore 675 ans en incluant les ressources extractibles des phosphates. Aujourd’hui l’approvisionnement mondial se fait majoritairement au Kazakhstan (40% selon l’association nucléaire mondiale).
Nucléaire et politique : la relance du nucléaire français, une décision qui divise.
La relance du nucléaire français par Emmanuel Macron
En octobre 2021, le président a dévoilé un plan ambitieux d’investissement de 30 milliards d’euros visant l’indépendance énergétique dès 2030, que ce soit grâce à l’innovation dans le secteur de l’hydrogène ou dans le nucléaire. Dans cette somme, un milliard d’euros sera alloué à la recherche sur les mini-réacteurs (SMR) qui devraient être plus sûrs et plus rentables que ceux actuellement en service. Concrètement Emmanuel Macron a demandé un programme de construction de réacteurs, EDF a donc présenté un plan de construction de 6 réacteurs EPR 2. Cette relance du nucléaire a un double objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 et d’indépendance énergétique.
Une décision inégalement accueillie par les acteurs politiques
Ce faisant, Emmanuel Macron a remis le sujet de l’atome au cœur du débat politique. La tendance était jusqu’alors à l’abandon progressif de cette énergie à l’horizon 2030, date à laquelle de nombreux réacteurs devront être mis à l’arrêt et les centres de stockage actuels seront arrivés à saturation. La droite est en faveur car c’est le symbole de la puissance française et se sert de la thématique de la transition écologique pour appuyer son argumentation. Les bénéfices en termes de souveraineté et d’écologie sont les principaux arguments avancés par Valérie Pécresse pour soutenir cette relance. Pourtant, c’est aussi la dimension écologique qui nourrit les doutes d’une partie de la gauche. Le réel bénéfice tiré de cette énergie pour la transition écologique est remis en question par le Parti Socialiste, les Insoumis et EELV.
Il faudra pourtant faire avec le nucléaire pendant encore plusieurs décennies, la France en dépendant fortement pour sa consommation électrique à l’heure actuelle. A moins de revenir à l’usage du charbon (comme nos voisins allemands), l’arrêt des centrales ne pourrait être compensé. Une idée qui irait à l’encontre totale de toute considération écologique, prouvant encore la dimension idéologique de ce débat.
Etienne Buresi et Camille Distler (JDE)
Sources :
Rapport de la cour des comptes : la filière EPR, avril 2020
BP statistical review
BRN Presse
Le monde de l’énergie
Connaissance des énergies.org
Interview de Thierry Dujardin dans Alternative, n°12, 2006
Entretien avec le directeur de la centrale du blayais
https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/lettre-d-information-de-l-epr-n-23
https://nouveau-europresse-com.ezp.essec.fr/Search/ResultMobile/0
https://www.sfen.org/nuclear4climate/gestion-dechets-nucleaires-exemple
https://www.asn.fr/tout-sur-l-asn/presentation-de-l-asn/les-missions-de-l-asn#informer
Bonjour,
Bravo pour cette article complet sur le nucléaire. Toute la partie enjeu, fonctionnement et risque est super pertinente. De manière générale je pense qu’ajouter des infographies et schéma améliore la compréhension.
J’aurai davantage développé la partie déchets nucléaires avec une typologie plus détaillée (FA VC, FMA VL, FA LT, etc.)
Il manque à mon sens une dimension internationale (30 nouveaux réacteurs en chine) et une actualisation des données technologiques (au sels de thorium, SMR, Centrale nucléaire flottante, etc).
Merci pour votre travail