You are currently viewing Le rap et le climat, plutôt collab ou disstrack?

Le rap et le climat, plutôt collab ou disstrack?

    Vous vous demandez sûrement ce que peuvent avoir en commun les rappeurs et les écologistes, au-delà de leur amour pour l’herbe. Question légitime, car quand les seconds prônent l’abstinence et les trajets en vélo, les premiers ne rappent que la fast life et lèvent en Y. Mais si le rap glorifie l’ostentatoire, il a aussi dans ses gènes une volonté d’engagement, et met le doigt sur des incohérences, des injustices du système. «Qui prétend faire du rap sans prendre position? » demandait le grand Lino, et cette pensée a longtemps conduit à stigmatiser les artistes qui n’avaient rien à raconter. Aujourd’hui encore, même si la mélodie est devenue primordiale, les discours vides sont reprochés aux rappeurs (“la drill ça dénonce tu vois”). Mais force est de constater qu’ils prolifèrent de plus en plus, et on est les premiers à chanter qu’on irait bien en avion fumer un petit pétou au mont Fujiyama. Alors, le rap et l’écologie, aussi inconciliables que Rohff et Booba?

Quand le rap S/O l’écologie

    Se voulant être une musique engagée, on trouve l’enjeu climatique assez souvent évoqué dans les textes de rap, et pas toujours de la manière qu’on croit. Ainsi, si le Duc en personne semble de prime abord avoir une explication toute à lui de la cause du réchauffement climatique, qui nous arrangerait bien -on vous laisse chercher dans les lyrics du son “BB”, on ne voudrait pas être censuré-, il est, contrairement à ce que certains pourraient penser, l’un de ceux qui critique le plus fréquemment le système actuel qui nous mène à la catastrophe climatique. Pour ce faire, l’auteur de Ouest Side aime à rappeler à quel point l’homme tend à être égoïste et mauvais, et appuie cette idée en nous comparant aux autres espèces : “Plus je connais les hommes plus j’aime mon chien” écrit-il dans Soldats. C’est souvent par l’intermédiaire des animaux que le Duc dénonce, et pose des questions ironiquement ouvertes comme “A quoi sert une banquise trop fragile pour les pas d’un ours?” ou encore “A quoi sert d’être lion en cage?”. Si l’artiste le plus influent de l’histoire du rap français se positionne ainsi, il n’est vraiment pas le seul, et est rejoint par une belle quantité de rappeurs et rappeuses.
Les membres du groupe Assassin sont par exemple des pionniers, et la défense de l’environnement faisait déjà partie de leurs revendications. En 1992, le groupe sort le morceau “L’écologie: Sauvons la Planète” au titre et au contenu extrêmement explicites – peut-être un peu trop même, en l’écoutant aujourd’hui c’est dur de turn up mais on le fait pour la culture.
On constate que la mise en garde écologiste dans les textes date donc d’il y a bien longtemps, et elle n’est pas genrée, puisque déjà en 2005, Keny Arkana dans “Tout le monde debout” déplorait au sujet des puissances de ce monde “Ils détruisent la nature, rien à foutre de l’écologie, pensent à l’économie”. Ouvertement subversif, le rap de l’époque s’élevait bien plus qu’aujourd’hui contre les “têtes pensantes” et les “décideurs”, mais était bien moins écouté que ce que peut l’être la musique de Jul, ce qui est une chance et une opportunité pour l’engagement des rappeurs actuels. Les générations actuelles jouissent d’un autre avantage sur leurs aînés, celui de pouvoir produire des visuels bien léchés, avec des drones par exemple, et représenter la beauté de la nature et l’intérêt de la préserver, comme le font PNL dans le clip de “La vie est belle” ou encore Kekra dans celui de “C’est bon”.
Mais ils ne se contentent pas toujours d’images et de mots, et partent également au charbon pour la cause. Par exemple, Lord Esperanza a donné sa voix à la campagne #CHANGETADATE lancée par le collectif Too Good To Go pour inciter les marques à revoir leurs dates de péremption et à s’engager contre le gaspillage alimentaire. Il va également lancer une marque de vêtements écoresponsables appelée Paramour (du nom de son label) qui utilisera des matériaux recyclés.
En parlant de lancement de marque, Nekfeu vient également de signer une collaboration avec Bostem, une marque de vêtements écoresponsables bruxelloise. Mais le milieu du rap ne concerne pas seulement ceux qui prennent le mic, et des beatmakers comme Ghost Killer Track s’investissent également dans une multitude d’associations sociales et environnementales.

Ces bons comportements restent minoritaires, et l’évolution actuelle effraie.

    Malgré tout, la tendance actuelle et ce qu’on peut entendre dans les sons mainstreams va plutôt valoriser les comportements ostentatoires et les drifts en Lambo, et les rappeurs engagés, bien que proportionnellement plus nombreux en France qu’aux US, ne représentent qu’une minorité bruyante qui exaspère parfois plus qu’autre chose -oui tonton Kery, revenir en big 2022 avec un morceau de huit minutes qui s’intitule “Marianne”, ça peut en faire souffler plus d’un.
Pire encore, de nombreux rappeurs semblent aujourd’hui se complaire dans un système inégalitaire et dangereux pour la planète, et reviennent même sur leurs positions tenues en début de carrière, à la manière de SCH qui voyait ses punchlines écrites sur les pancartes des manifestations –“se lever pour 1200 c’est insultant”– et vend aujourd’hui des œuvres en NFT dans le seul but lucratif. Ce sujet des NFT dans le rap est d’ailleurs symptomatique d’un rap qui tend toujours plus vers le business -“après ça on devient des chefs” dit très bien Ninho- et génère de l’argent par le plus de moyens possibles, des placements de produits douteux aux NFT tant décriés. Que chacun veuille faire sa moula, rien de plus normal, mais le problème est que cela se fait au détriment de la santé et du porte-monnaie des jeunes influençables qui suivent ces idoles, et surtout au détriment de l’environnement dans le cas des NFT -on ne parlera même pas des fermes à streams. Beaucoup de rappeurs se sont lancés dans ce business juteux, qui prive les auditeurs les moins aisés -pratiquement tous- de profiter de leur art sensé être accessible à tous, et qui représente un coût environnemental énorme du fait de l’utilisation de cryptomonnaie inhérente au processus. Parmi ces businessmen du numérique, on retrouve malheureusement Booba en tête de liste, preuve qu’il n’est sensible à la cause environnementale que d’assez loin -on aurait pu s’en douter devant ses storys insta au volant de la Veyron- mais aussi Freeze Corleone, qui malgré ses textes dénonciateurs -complotistes, disons-le- et des déclarations comme “A propos de la verte comme si je suis écolo” dans “Chen Laden”, demeure insensible au changement climatique.
C’est sensiblement la même tendance de l’autre côté de l’Atlantique, où Eminem est une tête de proue de la démocratisation des NFT par exemple, mais on peut se féliciter de voir Kanye West y être fermement opposé -ceci dit, au vu de sa santé mentale, si Ye était un défenseur de cette nouveauté, ce serait tout à fait logique aussi. Le constat global est en tout cas sans appel : l’appât moderne du gain représente une menace pour un retour d’un rap un peu plus engagé sur et en dehors des prods.

    Pour ce qui servira d’outro, je vais vous la faire aussi courte que la carrière de JNR : rap et écologie ne sont pas définitivement en beef. Au contraire, par nature subversive, la musique urbaine a une voix à exprimer, et il n’y a pratiquement pas un rappeur qui n’y soit pas allé de sa punchline sur l’environnement, certains étant même, vous l’avez vu, capables de beaucoup s’engager. Cependant, il y a toujours mieux à faire, comme dans tous les autres secteurs de la société de toute façon, et il faut prendre garde à ne pas aller à reculons dans l’industrie musicale. Pour conclure, je dénoncerais la plus grosse menace pour la couche d’ozone qui plane dans le rap francophone : il s’agit de Green Montana, car il est beaucoup trop chaud.

Sources:

https://www.rtbf.be/article/rap-et-ecologie-quand-les-rappeurs-s-inquietent-pour-la-planete-10322713
Spotify, parce que la musique ça s’écoute avant tout. D’ailleurs, petite playlist des sons et artistes cités, c’est cadeau.

Laisser un commentaire