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2024-2025 L'empreinte des mots : Critiques de livres pour un monde plus durable

L’Empreinte des mots #8 : René Dumont ou l’utopie en politique

          « Je ne suis pas un candidat doux rêveur », mais un « candidat propre » affirme René Dumont en ouverture de son célèbre discours du 19 avril 1974 pour la campagne présidentielle, avant d’ajouter « J’ai 45 ans de travail agronomique sur le terrain » pour justifier le sérieux de sa candidature. Il tente alors de se réhabiliter auprès de ses opposants, mais aussi auprès de nombreux écologiques peu convaincus par le virage à 90° de ce productiviste résolu qui a traversé le XX1e siècle.

          Cinquante ans plus tard, le message de René Dumont est plus que jamais d’actualité. L’accusation dont il se défendait dans son discours « Mais nous les écologistes, on nous accuse d’être des prophètes de malheur et d’annoncer l’apocalypse. Mais l’apocalypse, nous ne l’annonçons pas, elle est là parmi nous », est reprise par Arthur Nazaret pour le titre de son livre paru cette année sur la campagne de l’agronome Le Prophète qui avait raison, La présidentielle de René Dumont.

          Et pour cause, alors qu’il donne pour exemple son expédition parisienne du 16 mars 1974 à vélo pour montrer que la capitale pouvait être le terrain de jeu des deux roues, les pistes cyclables se sont multipliées ces dernières années dans les rues, au détriment de la circulation automobile. Malheureusement, ce prophète avait raison sur d’autres points, à commencer par cette apocalypse dont on commençait tout juste à entendre parler dans l’espace public. Si le livre d’Arthur Nazaret se concentre sur le moment de la vie de René Dumont le plus connu du grand public, la campagne présidentielle ne représente en fait que quelques mois de ses 97 années d’existence. Porte-parole d’un groupe hétéroclite d’écologistes souhaitant utiliser les présidentielles pour rendre leur cause plus visible, le candidat n’était lui-même qu’un très récent converti à la cause écologiste. Choisir René Dumont, c’était aussi présenter l’écologie dans une perspective tiers-mondiste et sociale, plutôt que parisienne et élitiste.

          Les élections présidentielles de 1974, déclenchées par la mort du président en exercice Georges Pompidou, sont les quatrièmes élections de la V2eme République et celles dont le score est le plus serré, mais surtout les premières où se présente un candidat écologiste : René Dumont. S’il n’obtient alors que 1,3% des voix exprimées au premier tour (337 800 votes), loin derrière les 43,25% de Mitterrand et les 32,60% de Valérie Giscard D’Estaing, l’agronome est tout de même loin devant Jean-Marie Le Pen, candidat du tout nouveau Front national fondé deux ans plus tôt, qui ne récolte alors que 0,75% des voix… de quoi faire réfléchir !

          Le candidat écologiste, agronome retraité, se démarque par son style vestimentaire en arborant un pull rouge à la télévision, son vélo, son bateau-mouche qui fait office de QG de campagne, et ses discours tiers-mondistes qui tranchent avec les prises de parole politiques ordinaires. Pourtant, Dumont est agronome partisan de la Révolution verte avant d’être écologiste, et sa prise de conscience de l’urgence environnementale n’est que tardive.

« A partir de la défense de l’environnement, je cherchais à présenter un projet global de civilisation à basse consommation d’énergie et de métaux, déjà évoqué ci-dessus. Je ne suis pas un écologiste, même si j’ai compris tardivement que c’était très important. Je reste un agronome, qui vient juste de mieux reconnaître les limites de sa technique, toute l’étendue de son ignorance. Mais je reste l’agronome de la faim et le surcroît – disons de popularité – que me donne cette campagne, va me servir à faire mieux prendre conscience des menaces de famine mondiale. »

          Pourtant, alors qu’il est critiqué par certains militants qui fustigent cette conversion à rebours après une vie à sillonner le monde, s’il y a bien un adjectif qui pourrait qualifier René Dumont, c’est peut-être « pionnier ». Véritable Cassandre de l’écologie, il a du mal à se faire prendre au sérieux mais il est aussi la première personnalité française à défendre l’environnement à la télévision, avec une large audience et une facilité de parole surement héritée de ses années d’enseignement. A la fois agronome, écolo, tiers-mondiste, professeur, essayiste… ce sont ces multiples casquettes qui font de lui un candidat sérieux et crédible aux yeux de ceux qui l’ont choisi pour représenter la cause environnementale.

          Finalement, pour son biographe Jean-Paul Besset, René Dumont est avant tout inclassable, voire insaisissable :

« Il est effectivement « trop ». Trop écolo pour les socialistes, trop anarchiste pour les écolos, trop empirique pour les marxistes, trop étatique pour les libéraux, trop agronome pour les économistes, trop socio-économique pour les agronomes, trop pragmatique pour les scientifiques, trop enflammé pour les universitaires, trop prudent pour les militants, trop malthusien pour les démographes, trop exigeant pour les tiers-mondistes, trop anticonformiste pour les pouvoirs, trop raisonnable pour les  rêveurs… Oui, René Dumont est un homme à part et il aura cultivé cette exception toute sa diable de vie. Un homme en trop, presque, qui échappe aux lignes, hors des coteries, des chapelles, des clans et des dogmes. »

          S’il est considéré comme trop radical, c’est parce que René Dumont conclut de l’inefficience du système actuel sa nécessaire transformation. Dans le chapitre introductif de son essai L’Utopie ou la mort, paru en 1973, intitulé « Fin d’une civilisation », il exhorte ainsi à la sortie du système capitaliste, responsable d’inégalités mondiales.

« Voici 40 ans que j’essaie (…) de faire prendre conscience aux Français, aux francophones, puis à un plus large public (depuis que je suis traduit), du caractère absolument inadmissible et des injustices fondamentales, à l’échelle mondiale surtout, de notre économie capitaliste : celle du monde qui se vante d’être libre, oubliant qu’il est d’abord le monde riche. »

          Avant tout « agronome de la faim », René Dumont a en effet passé sa vie à étudier les enjeux (agricoles) de développement ; et il ne peut passer sous silence la responsabilité des pays riches. Il se fait donc critique de la croissance illimitée de la production industrielle et de la société de consommation qui en découle. Pour lui, les principales menaces de ce système non durable sont tant sanitaires, environnementales que sociétales : « dégradation des sols, malnutritions, épuisement des ressources minérales, surpopulation des riches et surarmements, pollution de l’air et des eaux, dangers pour les écosystèmes et les climats, etc ». Avant ceux qui sont aujourd’hui devenus les apôtres de la décroissance (pour en savoir plus, n’hésitez pas à aller jeter un coup d’œil à notre série d’articles sur le sujet : Décroissance, de la récession à une sobriété soutenable et souhaitable !), René Dumont rappelle ce qui semble être un truisme : pas de croissance infinie possible dans un monde fini. Cette lucidité, il la doit notamment à la lecture du célèbre rapport du club de Rome The Limits to Growth, paru en 1972. Selon les projections de Donella et Dennis Meadows, toutes les courbes mènent à un effondrement du système au cours du XXI3eme siècle, que ce soit à cause d’épuisement des ressources minérales, de surpopulation, de pollution ou encore de production alimentaire insuffisante. « Avons-nous le droit de jouer sur des paris l’avenir de l’humanité ? » se demande alors René Dumont. Comme tente de le démontrer le philosophe Hans Jonas dans Le Principe responsabilité, la réponse est non ; et l’agronome parvient bien à cette même conclusion.

          Et dès lors que les ressources sont limitées, il faut non seulement s’assurer de leur suffisance, mais aussi de leur juste répartition. En effet, pour Dumont « Cette dégradation du patrimoine commun de l’humanité constitue une véritable spoliation, par les entreprises ou les particuliers, de la richesse collective » (L’Utopie ou la mort, 1973). Ce Halte à la croissance du Club de Rome peut être complété, voire précédé, selon ses dires, d’une halte à la domination des peuples puis d’une halte aux armements qui gaspillent les ressources rares, d’une halte aux exploitations et au gaspillage sous toutes ses formes et enfin d’une halte à l’explosion démographique ! Comme dans la pensée d’André Gorz, l’écologie est indissociable du socialisme, de par la nécessaire sortie du système capitaliste à l’origine de la quête permanente de croissance dans un monde fini.

          Et pour cause, extrême, voire radical, René Dumont l’est aussi en ce qui concerne des sujets encore plus polémiques que le capitalisme et la réorganisation de nos modes de production. Accusé de malthusianisme démographique en 1966 à la sortie de son livre Nous allons à la famine, il va en effet même jusqu’à donner en exemple la Chine et le Vietnam : « L’abandon des petits filles dans les familles pauvres chinoises, ou l’avortement systématique au Japon, avant 1869 comme après 1945, peuvent être considérés comme des mesures comportant une certaine sagesse » (L’Utopie ou la mort)… si ces propos peuvent paraître choquants (à juste titre ?), il ne faut pas non plus les interpréter avec anachronisme (d’autant plus que la politique de l’enfant unique n’avait pas encore commencé à la parution du livre en 1974, puisqu’elle a été lancée par le gouvernement chinois en 1979). A d’autres endroits dans son écrits, René Dumont, qui n’a pas eu d’enfants, parle de « lapinisme d’irresponsables »… Terme qui semble aujourd’hui politiquement inaudible, incorrect ; mais peut-on être politiquement correct lorsqu’on entreprend un changement radical de société dont dépendrait la survie de l’humanité (et de la biodiversité) terrestre ?

          D’autres de ses propos, plus mesurés semblent moins choquants ; mais ils restent difficilement audibles aujourd’hui dans le débat public en raison du caractère tant personnel que moral de la question démographique : « en France, en Europe, quand on sera enfin capable de comprendre la gravité de la situation (…) on commencera par supprimer tous les avantages (fiscaux, logements et allocations familiales) au-delà du deuxième enfant, après que l’on aurait réduit les inégalités des revenus. » René Dumont parle même d’impôts pour freiner la natalité dans les pays riches, voire d’un quota de naissance. Mais l’agronome est aussi en faveur d’une migration encore plus massive, dans le contexte d’après-guerre, cela avant la suspension des entrées de travailleurs et familles immigrés permanents de juillet 1974…

          Pour lui, le choix est clair : « Il nous faudra choisir entre le nombre et l’aisance ». Et poser ces questions avant que les réponses ne s’imposent d’elles-mêmes bien que cela puisse choquer, c’est aussi un moyen de laisser ce choix collectif ouvert avant qu’il ne devienne une contrainte absolue. Si l’agronome sort de son champ disciplinaire, s’investit dans la politique et fait des propositions de politiques publiques, c’est parce que pour lui les questions sociales et environnementales ne peuvent pas être « apolitiques ».

« Le club de Rome et les écologistes anglais semblent s’être efforcés de traiter ces problèmes aussi vastes que complexes d’une façon un peu apolitique : comme si c’était possible. En réalité, c’est là une dangereuse illusion : toute tentative d’apolitisme cache, sur le point visé, une position satisfaite des structures économiques actuelles, donc finalement conservatrice. »

« Le réformisme peut être utile comme premier pas, pour hâter la prise de conscience ; mais il ne suffira pas »

          De plus, contrairement à la plupart de ses contemporains, l’agronome procède à une analyse mondiale de la situation agricole, économique et environnementale ; à l’encontre des dérives occidentalistes, il invite au décentrement du regard dans une perspective altermondialiste. Être socialiste, ce n’est pas seulement lutter pour les droits sociaux dans son pays, mais se replacer à une échelle mondiale, elle seule permettant de comprendre les enjeux de développement.

« La classe ouvrière des pays riches possède un caractère ambigu, qu’elle n’accepte pas volontiers de reconnaître. Elle se dit volontiers exploitée, ce qui est vrai ; elle refuse d’admettre qu’elle peut aussi être exploiteuse, sous certaines formes, des pays dominés »

          Ainsi, dans son essai L’Utopie ou la mort, René Dumont explore des transitions vers « diverses formes du socialisme », à travers différents scénarios en plusieurs étapes : « 1e révolte : indépendance nationale comptant sur ses propres forces et priorité agricole », « 2e révolte : offices nationaux de matières premières », « 3e révolte : répudiation des dettes abusives, nationalisation du sous-sol », « 4e étape : Organisation progressive d’une économie planétaire, croissance plus rapide des pays dominés »… Si le point de départ est bien l’objectif d’éradication de la faim, suivent rapidement des soucis d’auto-suffisance et de réduction des inégalités mondiales grâce au développement. Ainsi, il se montre en faveur d’impôts internationaux sur les matières premières, dans le cadre d’une économie organisée sur le plan mondial incluant une organisation planétaire supranationale afin de protéger l’environnement. Selon lui, des discussions mondiales sont tout autant nécessaires que la décentralisation. Visionnaire, il l’était surement aussi sur ce point : des COP climat, biodiversité et désertification aux conférences des nations unies sur l’océan (UNOC) en passant par le One Water Summit par exemple, les conférences internationales se sont multipliées ces trente dernières années parallèlement à l’essor d’une nouvelle diplomatie environnementale.

          En plus d’être « trop », l’un des fils rouges de la trajectoire de René Dumont est son antimilitarisme intransigeant. Comme, l’écrit son biographe Jean-Paul Besset :

« De l’agronomie à la famine, de la famine aux bidonvilles, des bidonvilles aux sécheresses, des sécheresses à l’écosphère, il n’y a plus ensuite qu’un fil logique autour duquel toute la vie de Dumont s’étire. Il combattra la mort sous toutes ses formes, où qu’elle se présente, il ira la traquer sous toutes les latitudes, il la démasquera, il la précédera parfois, la disséquera, la cernera, l’accablera de haine. »

           Anticolonialiste, opposé à la Seconde Guerre mondiale et partisan de l’armistice sans être collaborateur, il se positionne dans l’après-guerre contre l’armement atomique et en faveur des non-alignés pendant la guerre froide. Or un candidat non-aligné favorable au désarmement nucléaire unilatéral pouvait-il avoir ses chances aux présidentielles en 1974 ?

          Ses propositions à l’échelle nationale ne sont pas beaucoup plus acceptables pour une majorité de la population. En effet, l’agronome est opposé au luxe de la voiture privée, emblème des Trente Glorieuses qui prennent fin, et qui rend selon lui les villes invivables. Soucieux d’être cohérent et constant entre ses paroles et ses actions, il se déplace pendant la campagne sur son incontournable vélo. Comment en arriver là ? En triplant la TVA sur les véhicules, en favorisant la production de voitures simples mais durables grâce à une taxe d’utilisation dégressive, en augmentant la taxe sur l’essence et en augmentant les prix du stationnement ; loin de constituer des mesures injustes prises au détriment des plus pauvres, il fait de ces propositions des politiques sociales en promouvant une forme de double dividende, l’augmentation des recettes de l’État obtenue grâce au taxe permettant selon lui de favoriser les transports en communs grâce à des subventions… Plus généralement, le candidat propose une fiscalité croissante, jusqu’à devenir prohibitive, sur tous les biens polluants, ainsi qu’une taxation sur l’héritage et sur le capital.

          Mais cohérent, il ne l’est pas toujours… par exemple lorsqu’il préconise une baisse drastique des voyages aérien salors qu’il a lui-même voyagé dans le monde entier en tant qu’agronome !

          Pour nuancer et lui rendre justice, on peut noter que René Dumont emploie le subjonctif dans son essai. S’il ne semble pas prendre en compte l’ensemble de l’impact et l’acceptabilité sociale de certaines de certaines de ses mesures, il a le mérite de proposer un imaginaire souhaitable, indispensable à la transition. Et ce choix est assumé, puisque le titre de son essai programmatique annonce justement une « utopie ». A ceux qui diront que l’utopie n’a rien à faire dans le domaine pragmatique et concret de la politique, il pourrait leur répondre que la seule alternative possible est la mort. « L’utopie ou la mort », dilemme qui ne semble pas en être un… et pourtant, cinquante ans après, nos sociétés n’ont toujours pas tranché.

« Il faut surtout leur rendre l’initiative, dans des entreprises où tous les travailleurs – surtout les jeunes et les femmes pourront participer à la plupart des décisions. Une fois respectés l’intérêt général mondial, les nécessités de survie de la planète, il faut leur rendre le droit d’imaginer d’autres types d’existence que la nôtre ; d’autres modèles de villes que celles que nous bâtissons et qui sont entièrement à revoir. Il faut leur concéder largement le droit de se tromper, même lourdement. Le droit à l’erreur est une condition absolue de toute possibilité de réel épanouissement. Nous semblons sous-estimer terriblement les possibilités d’une jeunesse libérée des contraintes inutiles, et qui serait appelée à réinventer réellement sa vie : je suis sûr qu’elle nous étonnera. L’essentiel est de décentraliser, de repartir de la base, de rendre aux villages et aux quartiers, aux entreprises et aux écoles, aux cellules des syndicats et des partis, une autonomie pleine et entière – sauf à contrôler les déprédations au milieu naturel, les gaspillages intempestifs, les atteintes à la dignité : car nous voulons une société sans mépris. »

          La première préoccupation de René Dumont a été de parvenir à assurer une alimentation correcte pour tous ; il soulève tout au long de sa carrière l’enjeu de l’accès aux protéines dans les pays en développement. Pour lui, il est essentiel de prendre en compte la rareté de la plupart de nos ressources. C’est peut-être la seule image que beaucoup auront retenu de lui, candidat buvant un verre d’eau dans son célèbre discours de campagne pour sensibiliser à la préservation de cette denrée trop souvent considérée comme abondante dans les pays développés.

« Nous sommes conditionnés au gaspillage, base indispensable de l’économie de profit. Nous pourrions être éduqués – ou rééduqués – à ne plus jouir de biens qui nuisent aux plus déshérités ».

          Et les déshérités ne sont pas en premier lieu les ouvriers des pays développés, mais bien la population des pays du « Tiers Monde ». En France, il s’oppose au mépris du travail manuel et fustige la longévité inutile de certaines études théoriques (et cela bien avant l’objectif de 80% d’une génération avec le bac lancé par Chevènement en 1985 !). L’objectif ? Son utopie, une société dans laquelle « le travail est devenu la première valeur ». Cette vision peut surprendre d’aujourd’hui, car elle semble aller à l’encontre des théories éco-socialistes contemporaines qui tendent plutôt à prôner une société écologique articulée autour de la réduction du temps de travail.

« En se plaçant au point de vue de l’avenir de la planète, de l’humanité, on se proposera en priorité la fin des gaspillages des pays riches ; même s’ils sont populaires, comme l’auto familiale ; et des inégalités, même quand celles-ci sont trop facilement admises, comme le luxe de nos riches, insultant la misère du Tiers Monde ».

          René Dumont prône ainsi une écologie à appliquer en premier lieu à nous-même : il ne cherche pas à dénoncer les politiques ou les industriels de manière manichéenne, comme le font trop certains discours accusateurs aujourd’hui qui se défaussent de leur propre responsabilité et de leur propre force de changement.

« Je terminais le livre par un redoutable aveu : Oui je le sais, j’appartiens à la minorité privilégiée. Cet essai est donc aussi une auto-critique. Je fais des efforts, mais il faut changer bien des institutions et des structures, pour que nous puissions progresser plus vite. Ainsi, j’avais pu écrire quarante-trois années durant (1930-1973) des centaines d’articles et de rapports et vingt-trois volumes sans apercevoir toute l’étendue de mes responsabilités, et à quel point mes écrits m’engageaient personnellement, dans mes actes, dans ma vie de tous les jours. Des amis me l’ont alors mieux fait sentir et je souligne depuis que chacun de nous (je parle des militants) doit, s’il veut être logique avec ses écrits et ses paroles, changer aussi son style de vie, réduire à tout le moins sa marge de privilèges, et ne plus gaspiller autant les ressources si limitées de notre petite planète. Nous en sommes comptables vis-à-vis de nos contemporains trop démunis, comme de nos arrière-petits-enfants. »

          Il écrit ainsi en 1974 « Nous vivons aujourd’hui les dernières décennies de la société de gaspillage » … vraiment ? 50 ans après, on peut se poser la question, ou plutôt répéter cette prophétie qui ne s’est pas encore réalisée et qui semble encore plus fatidique.

          Et en l’absence de prise de conscience rapide, traduite démocratiquement et collectivement dans des actes, seule une « heuristique de la peur » jonassienne semblerait adapté à une réponse politique selon lui…

« Le seul espoir des malheureux, ils le comprennent de mieux en mieux, sera de nous faire peur. Et notre société si artificielle, si complexe, devient de ce fait de plus en plus vulnérable à l’audace de ceux qui n’hésiteront pas à faire sacrifice de leur vie. Alors ? Il nous faut essayer de reconstruire un vrai Nouveau Monde (je n’ose plus dire une Nouvelle Société, terme trop galvaudé), sur des bases entièrement repensées, avec des hommes formés, forgés, reformés, par des méthodes d’éducation totalement renouvelées, dans le cadre de structures sociales en constante évolution »

Sources

– René Dumont, L’Utopie ou la mort (1973)

– René Dumont, Agronome de la faim (1974)

René Dumont, Une vie saisie par l’écologie de Jean-Paul Besset (2013)

Le Prophète qui avait raison, La présidentielle de René Dumont, Arthur Nazaret (2024)

– Discours présidentiel de René Dumont 19 avril 1974 : https://www.youtube.com/watch?v=nMRFKNu0f30

– « Écoutez René Dumont, Citoyen de la planète terre », Bernard Baissat. Film documentaire (interview) de 1992, disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=lG7oIHew8rU

– « Élection présidentielle française de 1974 », Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_1974#R%C3%A9sultats

– « René Dumont », Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Dumont

– « René Dumont : L’écologiste vraiment radical », Blast : https://www.youtube.com/watch?v=OzhIf7z3jG8