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2024-2025 L'empreinte des mots : Critiques de livres pour un monde plus durable

L’empreinte des mots #10 : Comment éviter un désastre climatique – Bill Gates 

          Bill Gates est un informaticien, entrepreneur et milliardaire américain connu pour avoir fondé Microsoft et la fondation Bill-et-Melinda Gates. Il s’intéresse à beaucoup de sujets d’actualité notamment la santé via sa fondation. Depuis peu, il se passionne pour le changement climatique notamment à la suite des catastrophes naturelles de la décennie et du Covid-19. En 2021, il décide de publier son livre intitulé Climat : Comment éviter un désastre qui se concentre sur les solutions technologiques pour combattre la crise climatique. C’est avec une vision optimiste qu’il nous explique son point de vue sur la situation en structurant son livre autour de différents secteurs notamment l’énergie avec l’importance de l’électricité, l’agriculture, la mobilité, et également sur des thématiques comme la politique et l’adaptation au changement. En somme, Bill Gates met en avant ses idées sur les secteurs les plus polluants et propose des solutions dans chaque cas. Étant un investisseur très influent, il a une vision exhaustive des innovations qui se font car il côtoie de nombreux entrepreneurs qui tentent d’ajouter leur pierre à l’édifice dans la lutte contre le changement climatique. D’ailleurs, en septembre 2019 lors du UN Climate Action Summit, Bill Gates a dit “Montrez moi un problème et je chercherai une technologie pour le résoudre” ce qui montre clairement sa vision techno-solutionniste. Dans cet article, nous allons voir si cette vision est suffisante pour lutter contre le changement climatique. 

          Bill Gates publie ce livre en 2021 après des années tourmentées et remplies de catastrophes naturelles, notamment avec les feux de forêt en Australie qui ont tué plus de 3 milliards d’animaux. A noter que Bill Gates ne s’est intéressé aux problématiques climatiques qu’en 2006 après avoir discuté avec plusieurs scientifiques et de part son parcours dans la tech, il a su développer une vision optimiste du changement climatique. Il a d’ailleurs co-fondé en 2015 Breakthrough Energy, un fonds d’investissement axé sur les technologies propres car il croit en une solution technologique. Par ailleurs, il comprend qu’il faut atteindre le net zéro, c’est-à-dire arriver à un équilibre entre les émissions dégagées dans l’atmosphère et les émissions capturées. L’une des idées principales du livre est d’électrifier au maximum les activités humaines que ce soit au niveau de la mobilité ou du chauffage par exemple. Il explique notamment que pour générer plus d’électricité décarbonée il n’y a pas de loi de Moore contrairement aux puces électroniques, qui doublent d’efficacité tous les deux ans. Or, selon le spécialiste Ramez Naam, le prix de l’énergie solaire a grandement diminué au cours de la dernière décennie. Nous sommes bien en dessous des prévisions de prix de l’Agence internationale de l’énergie. Cela est dû au fait que nous devenons plus efficaces et habitués à l’installation des panneaux solaires. Le prix diminue en effet de 30% à 40% lorsque nous doublons le nombre de panneaux installés. De plus, il évoque à plusieurs reprises l’émergence des batteries pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables. Il faut savoir que leur prix a beaucoup diminué au cours des années ce qui rend l’énergie solaire bon marché. 

Les idées et les points manqués 

         Par ailleurs, beaucoup de ses idées sont pertinentes et développées alors qu’une partie importante concernant la politique et le changement systémique ne sont pas aussi développées.

             Par exemple, il décrit la nécessité d’augmenter le budget dans la R&D dans de nombreux domaines notamment dans l’énergie pour pouvoir effectuer la transition énergétique plus rapidement. Les énergies renouvelables sont des solutions importantes à prendre en compte car elles sont facilement accessibles pour de nombreux pays. Il mentionne également qu’avec sa fondation, il a été frappé de voir que dans certains pays d’Afrique, l’électricité n’est pas accessible facilement. D’où son idée d’apporter de l’électricité décarbonée à bas prix à ces pays car ils ont besoin de se développer et cela permettrait d’éviter qu’ils choisissent des solutions polluantes. Cette bonne idée est un exemple d’une idée plus large : la collaboration entre les entreprises et les responsables politiques est cruciale pour atteindre ces objectifs.

              Par ailleurs, il décrit ce que les entreprises et les entrepreneurs doivent faire à travers cinq secteurs : électricité, manufacturing, agriculture, transports, chauffage et systèmes de refroidissement.

           D’après London’s Carbon Tracker Initiative, construire de nouvelles centrales d’énergie solaire ou des parcs éoliens devient moins cher que d’utiliser une centrale à charbon. On pourrait alors se poser la question : pourquoi n’avançons-nous pas plus vite ? Cela est dû à des raisons politiques et à l’action de lobbies. 

          Ces raisons ne sont pas mentionnées par Bill Gates qui garde ses œillères pour se concentrer seulement sur les solutions techniques. En effet, il est à noter que les géants pétroliers ont un poids important dans les décisions politiques liées à la transition énergétique. Ces géants connaissent le changement climatique depuis les années 1960 mais sont restés dans le déni pour des raisons économiques. En effet, le lobbying des pétroliers a pris de l’ampleur après la seconde guerre mondiale.  Bill Gates écrit “Je n’ai pas de solution pour les politiques du changement climatique” mais en réalité il en a. Bill Gates, au travers de Microsoft, a en effet donné beaucoup d’argent à des politiciens et seulement un tiers de ces derniers étaient “climate-friendly”. Cela pourrait être une raison pour laquelle il n’a pas abordé ces sujets car il se mettrait à dos ces politiciens. 

          Par ailleurs, il passe rapidement sur l’analyse des baisses de prix des énergies décarbonées. Il est vrai qu’il évoque le recul des coûts de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire, mais sans vraiment s’intéresser aux ressorts économiques et politiques qui ont permis cette dynamique. En fait, ces baisses de prix sont le fruit d’un mix de subventions publiques, d’économies d’échelle et d’innovations technologiques soutenues par des investissements stratégiques, notamment en Chine. En outre, Bill Gates se concentre surtout sur les solutions technologiques émergentes, telles que l’énergie nucléaire de quatrième génération ou le captage et stockage du carbone (CSC), en minimisant parfois le potentiel des techniques aujourd’hui matures et compétitives sur le marché.

          De ce point de vue, il fait preuve d’une posture très “techno-solutionniste” : innover serait une fois de plus le seul remède pour surmonter la crise climatique, sans réellement tenir compte des prises de conscience collectives. Or, comme le soulignent de nombreux spécialistes, cette transition ne sera pas seulement une question de nouvelles technologies, mais aussi d’ambitieuses politiques publiques, de régulations strictes des industries polluantes et de changement de comportements.

Dernier chapitre : la responsabilité du gouvernement 

          Le dernier chapitre met en avant la responsabilité du gouvernement à combattre le changement climatique. L’auteur affirme que le gouvernement doit encourager l’innovation à travers des fonds publics et un effort de baisse des prix pour l’achat de nouveaux produits notamment grâce à des subventions. Encore une fois, Bill Gates ne rentre pas dans l’analyse du statu quo de la législation aux Etats-Unis mais il y a une part indéniable de vérité dans ses affirmations. 

          Il est indéniable que l’intervention de l’État joue un rôle crucial dans l’orientation des investissements vers des solutions à faibles émissions de carbone et dans la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. Des leçons tirées de l’histoire démontrent que de nombreuses innovations, touchant des domaines variés comme l’informatique, l’aviation et maintenant les énergies renouvelables, ont bénéficié de financements publics avant de parvenir à la compétitivité sur le marché. 

          Cependant, la mise en œuvre de ces politiques se heurte souvent à des obstacles politiques et économiques, notamment aux États-Unis, où les intérêts des industries fossiles, la polarisation politique et la complexité du processus législatif freinent l’adoption de réformes ambitieuses. Ainsi, bien que le rôle du gouvernement soit indiscutable, la transition énergétique nécessitera non seulement des investissements massifs, mais aussi une volonté politique forte et une réforme des cadres réglementaires existants pour accélérer la décarbonation. 

          Par ailleurs, même si l’auteur souligne l’importance d’un cadre réglementaire propice à l’innovation, il n’examine pas de manière critique l’impact du marché et des grandes entreprises sur la crise environnementale actuelle. En effet, sans une régulation rigoureuse et des mesures contraignantes visant à pousser les pollueurs à réduire leurs émissions, l’innovation seule ne suffira pas pour atteindre les objectifs climatiques fixés. L’histoire montre que les entreprises ont souvent privilégié la rentabilité à court terme au détriment des impératifs environnementaux, retardant l’adoption de solutions durables tant que les incitations économiques ou les obligations légales ne les y contraignent pas. Ainsi, les subventions publiques sont nécessaires, mais elles doivent être complétées par l’instauration de taxes carbone ambitieuses, de normes plus strictes et d’un désinvestissement significatif dans les énergies fossiles pour véritablement propulser la transition.

          Par conséquent, même si l’idée selon laquelle l’État doit jouer un rôle prépondérant est pertinente, la vision présentée par Bill Gates reste partielle. Il esquisse un cadre dans lequel les gouvernements soutiendraient le développement de nouvelles technologies, tout en éludant les réformes structurelles et politiques indispensables pour lever les obstacles actuels. Pourtant, sans une refonte en profondeur du système énergétique et une remise en question des pouvoirs économiques établis, la transition climatique pourrait se révéler bien plus lente que ce que son livre pourrait laisser supposer. 

         Finalement, la vision de Bill Gates, se rapportant à l’innovation technologique comme unique moteur de la transition climatique, s’inscrit dans un débat plus vaste qui fonde actuellement les politiques de développement durable. Alors que le changement climatique s’intensifie, avec des records de chaleur, des catastrophes naturelles plus fréquentes et une pression croissante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les limites d’une approche uniquement technologique deviennent évidentes. Les choix faits par les acteurs publics et privés sont aujourd’hui dans le viseur : les promesses tenues lors des sommets internationaux font place aux actes, tandis que l’industrie des hydrocarbures continue de recevoir des aides publiques. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les subventions aux combustibles fossiles ont atteint un niveau record de 7 000 milliards de dollars en 2022, soit 7,1 % du produit intérieur brut mondial. Ainsi, si l’innovation est un levier majeur, elle ne peut se substituer à un durcissement des régulations et à une prise conscience globale car le problème climatique reste systémique.

Maxime Doens